Mercredi 26 octobre - "Restez polis !"
Départ à 8h45. Le taxi emprunte un chemin permettant de contourner le check-point à l’entrée d’Halhul, et éviter une demi-heure de queue. Nous descendons du taxi et rejoignons la route à travers champs. Nous attendons une dizaine de minutes, le temps de se faire traiter de "nazis" par un colon qui passe dans une 4x4 blanche. Le second taxi nous amène jusqu’à proximité de la colonie d’Otni’el sans encombre, hormis un check-point volant qui fait ralentir le véhicule sans l’arrêter.
La cueillette a lieu aujourd’hui beaucoup plus près du camp militaire qu’hier, sur le domaine de A. Après avoir observé la situation pendant deux jours, l’idée est de commencer à discuter avec les soldats et poser des questions sur les interdictions qui frappent les agriculteurs palestiniens pour accéder à leurs terres.
Nous commençons à cueillir les olives à mi-hauteur. Les miradors et les barbelés qui entourent le camp militaire se trouvent à 20 mètres. Nous nous trouvons à proximité de la bouche d’égouts qui sort du camp militaire. Une odeur pestilentielle se dégage des eaux usées. Un groupe de trois d’entre nous remonte davantage la pente, sur l’injonction de l’agriculteur, alors que les autres continuent de cueillir au même endroit. Un soldat nous observe du mirador et passe des coups de téléphone. Le sol est jonché de déchets, notamment des cannettes de bière, des bouteilles de vin, de vodka et des pipes à eau artisanales pour fumer du cannabis.
Le petit groupe accompagné de l’agriculteur récolte les olives de quelques arbres, jusqu’à ce que le soldat du mirador nous interpelle. Il parle français et nous demande ce que nous faisons là. Nous lui répondons que, comme il peut le remarquer, nous récoltons des olives. Quelques minutes plus tard, après être remontés encore davantage à la limite de la propriété, un groupe de six soldats armés arrive du haut du camp militaire. Ils nous demandent à nouveau ce que nous faisons là et nous répondons de la même manière. La discussion se poursuit pendant une vingtaine de minutes sur ce ton :
Le chef des soldats : « Ceci est un terrain militaire, vous ne pouvez pas rester là »
Le groupe : « Mais nous sommes sur la propriété de ce Monsieur »
Le chef des soldats : « Ne commencez pas à discuter avec moi. Si vous continuez sur ce ton, j’appelle la police. Elle peut être là dans cinq minutes et vous arrêter tous »
Le groupe : « Nous ne faisons rien de mal, nous cueillons simplement des olives. Ce terrain est la propriété du Monsieur »
Le chef des soldats : « Vous dégagez ! Je vous donne deux minutes avant d’appeler la police »
Le groupe : « Pourquoi on ne peut pas cueillir ici ? »
Le chef des soldats : « Je ne veux pas discuter avec vous. Je ne suis pas là pour faire de la politique. Ceci est un terrain militaire ! »
Le groupe : « Alors vous ne faîtes qu’obéir aux ordres que l’on vous donne sans réfléchir ? »
Un soldat s’énerve : « Putain, vous partez d’ici tout de suite ! »
Il s’approche, menaçant. Son chef lui dit de se calmer
Le groupe : « Restez polis ! »
Le chef des soldats : « Mais oui, c’est ça, vous êtes très intelligents, vous êtes très polis, mais vous partez immédiatement. Vous ne savez pas pourquoi [les Palestiniens] sont là, nous on sait
»
Le groupe : « Cette terre ne vous appartient pas »
Le groupe commence à se replier. La discussion se poursuit sur le même ton. Nous rejoignons le groupe resté plus bas qui a pris quelques photos de la scène. Les soldats disent à tout le monde de descendre au pied de la colline. Nous essayons de cueillir quelques olives en redescendant, mais les soldats s’énervent et haussent le ton. Ils commencent à tirer à vide avec leurs fusils.
Nous appelons R. pour lui demander quoi faire. Il appelle M. qui appelle à son tour le DCO, le Bureau israélien de Coordination Civile [1], pour rappeler au commandement militaire qu’une décision de la Haute de Cour de Justice israélienne autorise tous les agriculteurs palestiniens qui possèdent des terres près des colonies à faire leurs récoltes. R. rappelle le taxi qui vient nous chercher une demi-heure plus tard.
Nous demandons au chauffeur de nous emmener à Bethléem. Nous souhaitons visiter la ville, faire des photographies le long du mur, et nous rendre au camp de réfugiés de Deheisheh pour acheter des broderies à une association de femmes. Il nous dépose au check-point à l’entrée sud ouest de la ville. Nous devons marcher deux cents mètres pour prendre un autre taxi qui nous emmène au centre-ville, en raison du barrage de terre et de gravats qui bloque l’accès.
Après avoir mangé, nous nous rendons dans une rue où des oliviers arrachés par la construction du mur ont été exposés et enchaînés à des barreaux. Nous effectuons ensuite une visite de l’Eglise de la Nativité. L’Eglise a subi le siège de l’armée israélienne en 2002. Des impacts de balle sont encore visibles sur les murs. La plupart des Palestiniens qui avaient trouvé refuge dans l’Eglise et qui n’ont pas été tués ont été emprisonnés ou exilés à Gaza et en Italie. L’un de nous a rencontré la mère de l’un d’eux qui se trouve à Gaza et qu’elle n’a pas vu depuis trois ans. D’après des amis palestiniens, elle serait en train de devenir folle. Elle marche souvent seule dans la montagne en appelant son fils.
Nous nous rendons ensuite à l’entrée nord de la ville, où le mur est construit en continu sur plusieurs kilomètres. La scène est saisissante : l’entrée fait quelques mètres de large, et de part et d’autre des murs de huit mètres de haut séparent des zones qui sont devenues par annexion propriété de l’Etat d’Israël. Ces zones incluent plusieurs des sept colonies qui entourent Bethléem. Des tags, des graffitis et des pochoirs ont été dessinés par des Palestiniens et des gens du monde entier. Voici quelques exemples :
"American Money, Israeli Apartheid"
"Resist"
"La Paix est possible"
"Varsovie 1943, Compton, Bethleem 2005"
"Fear Build Walls, Hope Build Bridges"
"Give them Justice, They Will Reward You With Peace"
"Palestine, We Don’t Forget"
"Stop Apartheid"
"Stop the Racist Wall"
"No Wall Will Stop Us"
"Tear Down the Security Apartheid Wall"
"McColonization"
"Keep Hope"
"Freedom"
"This Wall Must Fall"
"Nou Barris / Contra el Mur / Stop Genocidi Contra el Poble Palesti"
Le mur n’est en fait pas unique. Après avoir traversé un quartier quasiment désertifié par la présence, non seulement du mur mais d’autres portions de mur et de plusieurs postes d’observation militaire à l’intérieur même de la zone encerclée par le mur, nous arrivons au camp de réfugiés d’Aida.
Il y a deux ans, la voie était encore libre vers le nord. Désormais, la seule porte de sortie est vers Bethléem. Nous rendons visite au centre culturel Al Rowwad. Ce centre s’est rendu célèbre il y a deux ans en envoyant un groupe d’enfants d’une troupe de théâtre en France montrer la vie quotidienne des Palestiniens sous l’occupation.
Nous recevons vers 16h un appel téléphonique de R. qui nous annonce qu’un attentat vient d’être perpétré à Alkhadeera, en Israël. Les routes risquent d’êtres rapidement bloquées par l’armée israéliennes entre Bethléem et Hébron. Nous prenons le chemin du retour assez vite. Nous revenons au check-point par lequel nous sommes arrivés et empruntons un taxi collectif. A mi-chemin, une queue de véhicules bloque le passage. L’armée est en train de placer d’énormes blocs de béton sur la route pour contrôler l’accès des deux zones. Nous ralentissons à l’endroit où trois jeunes colons israéliens ont été tués il y a deux semaines.
Nous arrivons à Halhul juste au moment de la rupture du jeûne. Nous sommes obligés de rentrer en stop. Un agriculteur nous prend dans sa remorque et nous arrivons enfin chez R. où nous allumons le poste de télévision pour nous informer de la situation. L’attentat a fait cinq morts et une trentaine de blessés. Il a été revendiqué par le Jihad Islamique, dont un des principaux leaders a été tué il y a quelques jours par l’armée israélienne. Les cueillettes risquent d’être suspendues dans les prochains jours.
à suivre...
Les missions civiles de protection du peuple palestinien sont organisées par le Comité Rennais de l’Association France-Palestine Solidarité depuis le début de le Seconde Intifada. La première mission a eu lieu en 2001. Leur but est d’aider des agriculteurs palestiniens menacés par l’expropriation de leurs terres par les forces d’occupation israéliennes, en premier lieu les Colons et l’Armée.
L’extension des colonies israéliennes est un phénomène constant depuis l’invasion de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza par l’armée en 1967. Elle est aussi parfaitement illégale du point de vue du droit international, notamment la résolution 181 de l’ONU qui définit les frontières d’Israël et de la Palestine de part et d’autre de la "Ligne Verte".
La Cisjordanie compte aujourd’hui environ 400 colonies qui regroupent à peu près 450 000 colons, y compris à Jérusalem-Est. [2]
La logique d’extension des colonies est aussi une logique d’annexion illégale des terres possédées par les Palestiniens. Les Autorités d’Occupation utilisent une loi héritée de l’époque de l’Empire d’Ottoman, selon laquelle une terre qui n’est pas cultivée pendant une période de trois ans est considérée comme abandonnée et devient propriété de l’Etat.
Pour empêcher les agriculteurs palestiniens d’accéder aux terres situées autour des colonies, les Colons utilisent différents moyens. Dans certains cas, ils proposent de racheter la terre à l’agriculteur. La plupart des Palestiniens refusent de vendre des propriétés qui appartiennent à leur famille depuis des générations, et qui constituent pour eux un moyen de subsistance. Dans d’autres cas (quotidiens), les moyens utilisés par les colons ou l’armée sont plus radicaux : humiliations, menaces physiques, interdictions d’accéder aux terres par des barrages, expulsions manu militari, assassinats.
Les missions civiles ont pour but de permettre aux agriculteurs menacés d’expropriation de se rendre sur leurs terres, de les cultiver et d’effectuer leurs récoltes.
Elles sont généralement réalisées en été (cueillette des fruits) et à l’automne (cueillette des olives). Les mission regroupent en général une dizaine de volontaires civils venus de l’ouest de la France, ainsi que d’autres régions. Qu’ils soient actifs, retraités ou étudiants, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, militants ou simples citoyens, tous-tes les volontaires ont en commun la volonté de défendre les droits nationaux et humains du peuple palestinien par une action sur le terrain, en contact direct avec la population.
Pour la mission de cet automne, le premier groupe est composé de dix personnes. Deux autres groupes prendront le relais pour couvrir l’ensemble de la période de cueillette des olives.
Nous rédigeons un rapport quotidien sur nos activités dans le but d’informer nos proches, nos amis, nos collègues et toute personne intéressée, sur la situation des Palestiniens et les difficultés auxquelles ils sont confrontés pour mener une existence normale.
La réalité de l’occupation israélienne est certes faite de violences et de graves violations des droits de l’homme, mais elle a également une dimension moins visible et plus pernicieuse en ce qu’elle rend impossible toute activité sociale, politique, économique ou culturelle viable. Nos témoignages sont là pour l’illustrer.